Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante
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Inégalités sociales et rapports de domination : le rôle de l’école
Cahier du camp de formation de l’ASSÉ des 24 et 25 septembre 2005

Ce texte a en partie été inspiré des enseignements de Pierre Doray et Paul Bélanger, respectivement professeurs au département de sociologie et au département d’éducation et de formation spécialisée de l’UQAM.

Le fait de reconnaître l’importance de l’accès universel à l’éducation est un fait récent dans l’histoire de l’Occident, et par le fait même, la question de sa démocratisation n’a été soulevée que très tardivement. Le but de cet exposé est de voir en quoi, malgré les progrès effectués au chapitre de la démocratisation de l’éducation, les institutions d’enseignement sont devenus des agents de la reproduction des inégalités dans les sociétés occidentales contemporaines. On s’appuiera pour ce faire sur des théories sociologiques développées en France au cours de la décennie 1960, et sur des données empiriques qui rendent compte de la situation qui prévaut aujourd’hui au Canada.

En premier lieu, on se penchera brièvement sur le contexte qui a présidé à l’analyse des inégalités face à l’école. À partir de 1962, année de publication d’une enquête de l’Institut national des études démographiques (INED) sur la scolarisation en France, plusieurs auteurs s’efforcent de mettre en relief les inégalités qui existent dans le système français en ce qui a trait à l’accès aux études supérieures et aux parcours des élèves.

Les sociologues néo-marxistes Christian Baudelot et Roger Establet, en 1971, montrent que le système d’éducation est divisé en deux « réseaux » qui sont le reflet de la structure de classes caractéristique de la société française de l’époque. Avant eux, les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans un ouvrage qui date de 1964, remarquent ces inégalités en termes d’accès et de parcours, mais mettent l’accent sur le fait suivant : l’école serait une institution formatée pour les enfants de la classe dominante. C’est dans La Reproduction (1970) qu’ils développent le concept de violence symbolique, élaboré pour expliquer la persistance de ce rapport de domination que perpétuent les institutions d’enseignement. L’éducation étant conçue, dans ses formes et dans ses contenus, pour les enfants appartenant à la classe dominante, les enfants de la classe dominée sont désavantagé-e-s dans leur cheminement, et cette discrimination implicite est masquée par l’idée que les différences de cursus s’expliquent par des différences de talent.

Les travaux de Baudelot, Establet, Bourdieu et Passeron ont permis de mieux comprendre les mécanismes qui président au phénomène de l’inégalité face à l’école, et ont mis en évidence le fait que l’école participait à la reproduction de la société, c’est-à-dire au maintien de ses structures à travers le temps. Ainsi, lorsqu’on pose la question des inégalités face à l’école, on doit envisager l’école comme une institution qui est déterminante pour les individus, en ce sens qu’elle oriente leur devenir en exerçant une contrainte sur leurs pratiques.

Cela dit, leurs observations portaient sur la société française des années 1960. Qu’en est-il aujourd’hui chez nous ? Peut-on encore conclure à un lien entre origine sociale d’un individu et cheminement scolaire ? Des statistiques récentes montrent que oui. En fait, une enquête publiée par Statistique Canada au début de l’année met en évidence le fait que le niveau de scolarité des parents a un impact significatif sur la scolarisation des individus. De même, une étude dévoilée en 2003 montre qu’à l’université, le taux de participation des jeunes augmente parallèlement à l’augmentation du revenu de leurs parents. En somme, l’école est toujours inégale, et ce malgré l’importance qu’on accorde à l’instruction dans nos sociétés. Aujourd’hui encore, l’école participe à la persistance des inégalités propres aux sociétés hiérarchisées que sont les sociétés occidentales.

Que doit-on tirer de ce sombre portrait ? Puisque l’institution scolaire met en œuvre des mécanismes et des procédures qui font en sortes que sa responsabilité face à la reproduction des rapports de domination est camouflée, ne faudrait-il pas justement travailler au niveau du dévoilement de ces mécanismes et de ces procédures ? Bourdieu a développé le concept de pédagogie rationnelle comme méthode pour vaincre les mécanismes de reproduction des inégalités sociales qu’entretient la violence symbolique. Celle-ci consiste à donner aux élèves les outils qui leur permettront de cheminer dans le système scolaire, peu importe leur origine socioéconomique et leur bagage familial. En d’autres mots, il s’agit donc de venir à bout de la discrimination qu’opère l’école à l’égard des enfants provenant de milieux défavorisés en passant par l’école elle-même, en faisant du ou de la professeur-e l’agent de changement social.

Pour notre part, il apparaît que le rôle qui devrait être conféré à l’école, lorsqu’on considère qu’elle doit garantir l’égalité des chances à tous et toutes, serait celui de révéler les mécanismes de la reproduction sociale, en même temps que la structure de domination à laquelle ils se rapportent. Autrement dit, l’école émancipatrice serait celle qui, en étant critique envers elle-même, permettrait aux individus d’être critique envers elle et envers leur propre position sociale. Cela dit, et c’est sur cette question que nous conclurons, la lutte contre l’inégalité se passe-t-elle uniquement à l’intérieur de l’école ? Autrement dit, l’école émancipatrice est-elle le gage absolu de l’abolition des inégalités sociales, des rapports de domination, et en dernière instance, de la structure de classes propres à nos sociétés contemporaines ? Cette lutte ne se situe-t-elle pas à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’école ?

Bibliographie

Baudelot, Christian et Establet, Roger. L’école capitaliste en France, Éditions Maspéro, Paris, 1973, 340 pages.

Bourdieu, Pierre et Passeron, Jean-Claude. Les héritiers, Éditions de Minuit, Paris, 1975 (1re édition 1964), 189 pages.

 ? La reproduction, Éditions de Minuit, Paris, 1970, 279 pages.

Corak, Miles, Lipps, Garth e Zhao, John. Revenu familial et participation aux études postsecondaires, Statistique Canada, Ottawa, octobre 2003, 45 pages.

Duru-Bellat, Marie. Les inégalités sociales à l’école, Éditions Presses universitaires de France, Paris, 2002, 256 pages.

Finnie, Ross, Lascelles, Éric, Sweetman, Arthur. Qui poursuit des études supérieures ? L’incidence directe et indirecte des antécédents familiaux sur l’accès aux études post-secondaires, Statistique Canada, Ottawa, janvier 2005, 44 pages

Merle, Pierre. La démocratisation de l’enseignement, Éditions La Découverte et Syros, Paris, 2002, 122 pages.

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