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Féminisation

Le langage influence la pensée : tout concept s’exprime grâce à lui. La langue française a été construite par des hommes. On peut dans un sens dire qu’elle était la propriété des hommes, considérant qu’à l’Académie française, de 1635 à 1980, aucune femme n’y avait de siège. Encore de nos jours, d’ailleurs, il n’y a qu’une seule femme sur ses 40 membres. Suivant la logique de la pensée alors admise que les femmes étaient inférieures, tant biologiquement qu’intellectuellement, l’instauration de la règle du masculin l’emportant sur le féminin est compréhensible. En effet, une idéologie dominante se répercute dans les structures d’une société, dont sur le plan linguistique. Avec les avancées légales concernant le statut des femmes et leur émancipation grandissante, la féminisation, d’abord des titres, puis des textes, s’est inscrite dans la lutte féministe. Elle est l’adaptation de la langue à la réalité sociologique incontournable : la moitié de l’humanité est féminine et tout aussi importante que l’autre. Contrairement à la langue traditionnelle, elle abolit la règle dictant que le masculin l’emporte sur le féminin. Ce changement en est un des majeurs ayant marqué le vocabulaire et le discours de la fin du 20ième siècle. La féminisation fut d’abord recommandée par l’Office de la langue française québécoise, dans la Gazette officielle, en 1979, pour les titres. En 1986, l’Office présente une morphologie du genre français avec les modèles et propositions de créations de formes féminines qui en découlent. Cette même année, en France, la Commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes recommande aussi de féminiser les titres professionnels. Toutefois, le gouvernement Chirac entre au même moment et la circulaire de recommandation n’est pas diffusée. En Suisse, dans le Canton de Genève, depuis 1988, une loi impose aux administrations de féminiser les titres de professions et d’éliminer le sexisme dans leurs textes. L’État fédéral suisse a reconnu très tôt l’importance des dénominations féminines. Le Dictionnaire féminin-masculin des professions, des titres et des fonctions, publié à trois reprises depuis, le démontre. En Belgique, la Communauté française a adopté 1993 un décret au terme duquel les administrations de la communauté et les institutions qu’elle subventionne se doivent d’utiliser des termes féminins pour désigner les femmes dans l’exercice de leur fonction ou profession. En France, en 1998, une nouvelle circulaire prescrit la féminisation des appellations professionnelles. Un guide de règles est aussi publié. Au Québec, la féminisation des textes fut entraînée dans la même lancée que celle des titres. En 1981, à l’Office, on énonce les principes de bases guidant la féminisation. Ces principes seront repris après 10 ans de pratique dans le guide Au féminin publié en 1991. En Suisse aussi, la féminisation des textes a suivi celle des titres. En 2001, un guide, Écrire les genres, est présenté en ce sens. Toutefois, ailleurs dans la francophonie, la féminisation des titres n’a pas encore fait surgir la problématique de celle des textes. En Belgique, c’est une question théorique faisant actuellement objet d’étude des linguistes, et en France, elle n’est toujours pas abordée.

L’ASSÉ a des politiques de féminisation orale et écrite dans cette suite logique. Il est important de saisir que le reproche fréquent d’alourdir les textes fait à la féminisation relève plus du manque d’habitude que du réel souci d’esthétisme. La féminisation est possible par la neutralisation d’un terme (la population étudiante plutôt que les étudiantes et étudiants) ou l’ajout du féminin (les directeurs et directrices de l’établissement ont demandé à rencontrer les responsables du Comité femmes). Une fois compris le concept que la règle du masculin l’emportant sur le féminin fut instaurée à une époque très misogyne par des hommes, il est nécessaire de faire cet effort de féminisation. Se dire égalitariste ou nier le fait d’être machiste implique plus qu’une affirmation pour l’être : cela demande des actions. Cela est au commencement, comme tout autre changement progressiste à travers l’histoire, tout d’abord étrange, demande un effort, mais devient très vite tout à fait naturel. Le fait que la féminisation ne soit pas encore globalement présente n’est pas synonyme de sa non pertinence : au contraire, comme dans tout cas d’avancée émancipatrice, elle est d’abord minoritaire, avant-gardiste, pour ensuite devenir une norme instaurée.