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Mardi, 20 octobre 2009  •  Français
Le mouvement étudiant québécois divisé
Par Arnaud Theurillat-Cloutier, du Comité du journal de l’ASSÉ

Le samedi 26 septembre dernier, dans le cadre du Camp de formation et de réflexion de l’ASSÉ, se sont réunis pour une rare fois les quatre acteurs nationaux du mouvement étudiant québécois. La Fédération Étudiante Collégiale du Québec (FECQ), la Fédération Étudiante Universitaire du Québec (FEUQ), l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ) et la Table de Concertation Étudiante du Québec (TaCÉQ) ont débattu sans relâche pendant plus de trois heures devant une centaine de personnes rassemblées au Cégep du Vieux-Montréal. Animé par Francis Hamel, étudiant à l’École Nationale de Théâtre et ancien exécutant de l’ASSÉ, ce débat a été l’occasion de souligner les divergences fondamentales entre les différentes tendances du mouvement étudiant. Résumé d’un débat historique. Photos par Gabriel Nadeau-Dubois

La soirée a débuté par une période de présentation de chacune des organisations. L’ordre des tours de parole, déterminé au hasard, a d’abord donné la possibilité à Julien Vadeboncoeur, secrétaire à l’information de l’ASSÉ, de présenter son organisation. Situant la naissance de l’ASSÉ dans le contexte des luttes contre la Zone de Libre-Échange des Amériques (ZLÉA), M. Vadeboncoeur a tenu à souligner la pertinence de l’émergence de l’ASSÉ suite au constat partagé par plusieurs associations étudiantes que la stratégie du « concertationnisme n’[avait] pas réussi à bloquer les offensives néolibérales, mais au contraire les [avait accompagné] ». Ainsi, plusieurs associations ont « ressenti l’exigence de mettre le syndicalisme de combat de l’avant » en créant l’ASSÉ. Cette organisation axe ainsi principalement sa lutte contre la globalisation et le néolibéralisme. Pour M. Vadeboncoeur, il s’agit d’« être radical », d’« aller à la racine des choses et c’est ce qu’on fait à l’ASSÉ, on s’attaque à la racine du problème ».

La FEUQ, représentée par son vice-président aux affaires sociopolitiques, Daniel Pierre-Roy, a rappelé qu’elle est le plus « gros groupe jeunesse au Québec ». M. Roy a mis de l’avant la mission de son organisation qui a pour but de défendre « les droits des membres tant au niveau économique, culturel que académique, autant sur les campus que dans leur domaine d’emploi ». En contraste avec l’ASSÉ, le représentant de la FEUQ a défendu la stratégie de sa fédération : « On croit beaucoup au pragmatisme, c’est-à-dire qu’on essaie souvent d’aller chercher des gains concrets pour les étudiants pour améliorer leurs conditions de vie dans le day to day comme on dit. » Sur la globalisation, la FEUQ a également soutenu une autre approche. L’éducation postsecondaire devrait, selon les mots de M.Pierre-Roy, « servir aux gens pour se trouver peut-être de la formation qui va leur permettre de justement être moins soumis aux aléas des lois du marché ».

Pour présenter la FECQ, Xavier Lefebvre-Boucher, président de son organisation, a défini, dans les mêmes termes que la FEUQ, la mission de sa fédération. Issue de la scission de l’Association Nationale des Étudiants et Étudiantes du Québec (ANEEQ), la FECQ a senti le besoin de « se spécialiser au niveau collégial ». M. Lefebvre-Boucher a tenu à distinguer son organisation de celle de l’ASSÉ en affirmant qu’« il n’y a rien au niveau réglementaire qui lie la fédération à une quelconque idéologie ou à une quelconque facon de faire politique, à un quelconque dogme ». L’organisation prend ainsi différentes tangentes « qui vont être plus à droite, plus à gauche, plus centriste selon les années, selon les membres que l’on représente », aux dires de M.Lefebvre-Boucher.

Quant à la TaCÉQ, organisation probablement la moins connue des quatre, elle était représentée par son secrétaire général Olivier Jégou. Regroupant la Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL), le Students Society of McGill University (SSMU), le Regroupement des étudiantes et des étudiants de maîtrise, de diplôme et de doctorat de l’Université de Sherbrooke (REMDUS), l’Association des étudiants et étudiantes de Laval inscrits aux études supérieures (AÉLIES), la TaCEQ totalise « plus de 60 000 personnes » aux dires de son secrétaire général. L’objectif de cette organisation est, pour M. Jégou, la « concertation entre associations étudiantes, [afin] de collaborer ensemble pour la poursuite d’objectifs communs tout en restant maîtres de sa souveraineté locale ». Cela permettrait aux associations de « travailler principalement sur les enjeux [plutôt] que sur les questions organisationnelles ». Théorisant quelque peu le fondement de la TaCEQ, M. Jégou a soutenu que cette table tenait à « se réapproprier le centre » entre les deux axes du mouvement étudiant québécois qui se divise entre la confrontation et la concertation d’une part, et entre le pragmatisme et le « programmatisme » d’autre part.

Sur le droit à l’éducation

L’état actuel du droit à l’éducation a été le sujet des premiers échanges. Soulevant les problèmes de l’Aide financière aux études, des frais afférents croissants, de la compétition entre les universités et des attaques aux étudiants internationaux et étudiantes internationales, le représentant de la FEUQ a attiré l’attention, en particulier, sur le problème du décrochage scolaire « lié aux conditions socio-économiques », principal obstacle à l’entrée au cégep et à l’université. Pour la TaCEQ, le droit à l’éducation est « essentiellement en recul ». M.Jégou a dénoncé la tendance « problématique dans l’imaginaire collectif » à voir l’éducation comme uniquement destinée à former des travailleurs et travailleuses : « Autant on a pu représenter [l’éducation] avec sa valeur émancipatrice dans les années 70, autant aujourd’hui, c’est un truc de base : on se forme parce qu’il faut travailler », a-t-il soutenu. Renchérissant sur ces constats, M.Vadeboncoeur s’est étonné que la FEUQ n’ait pas parlé du récent dégel des frais de scolarité universitaires. Pour l’ASSÉ, si le droit à l’éducation est mis à mal, c’est parce qu’elle est « considérée sous le strict angle de son rapport à l’économie ». M.Vadeboncoeur a en profité pour attaquer la FECQ sur son appui à logique de « l’économie du savoir », logique qui met en péril le droit à l’éducation selon l’ASSÉ. Pour le représentant de la FECQ, « l’économie du savoir, c’est la réorientation d’une économie industrielle vers le produit intellectuel ». La fracture entre l’ASSÉ et la FECQ s’est fait d’autant plus sentir lorsque M. Lefebvre-Boucher a parlé des conséquences de ce type d’économie : « Est-ce que cela veut dire marchandiser l’intellect ? Dans une certaine mesure, oui. Mais si on encadre comme il faut cette économie, cela a des effets bénéfiques. » Le porte-parole de la FEUQ a abondé dans le même sens : « On est parfaitement au courant que la mondialisation amène certains défauts. Mais dans le day to day, il faut trouver un moyen pour que les citoyens du Québec puissent vivre là-dedans de manière assez convenable. » M.Vadeboncoeur a défendu le discours de l’ASSÉ en soutenant que son organisation comprenait très bien que les gens « doivent aller sur le marché du travail », mais que l’école a aussi « une mission éducative de former des citoyens » et citoyennes. La tension a monté d’un cran lorsque Julien Vadeboncoeur s’en est pris aux fondements du discours de la FECQ et de la FEUQ : « Si vous voulez défendre l’accessibilité de l’éducation en vous basant sur le fait que l’éducation est du capital, vous êtes en train de justifier précisément le discours sur lequel se fonde le sabotage de l’éducation au Québec. » Affirmant ironiquement que la FEUQ était des « agents du capital », M.Pierre-Roy a rappelé que les enjeux que son organisation défend ne « sont absolument pas dans le même ordre que les politiques néolibérales ».

Réussites et échecs du mouvement étudiant

Enchaînant sur un autre sujet, M.Hamel a demandé aux panélistes de dresser le portrait des réussites et échecs du mouvement étudiant. Pour sa part, M.Lefebvre-Boucher considère que le plus grand échec des associations nationales est « la présence aussi forte d’associations étudiantes collégiales non affiliées » aujourd’hui.

Le représentant de l’ASSÉ a interprété ce thème comme l’occasion d’exposer le bilan de son organisation. La plus grande avancée réside, pour lui, dans la capacité de l’ASSÉ d’avoir « réhabilité les mobilisations de masse », rappelant au passage que les plus grands gains nommés par M.Lefebvre-Boucher ont été rendus possibles grâce à « des mouvements combatifs ». Revenant sur la grève étudiante de 2005 contre la réforme du programme des prêts et bourses, M.Vadeboncoeur a vivement soutenu que cette victoire du mouvement étudiant était due à la présence d’un « syndicat qui se revendiquait des principes du syndicalisme de combat » et qui a mobilisé les étudiants et étudiantes, contrairement aux Fédérations qui ont attendu qu’il « y ait 70 000 étudiants [et étudiantes] en grève » avant de joindre le mouvement.

Pour la FEUQ, le bilan du mouvement étudiant semble plutôt désespérant : « À part en 2005, on a jamais réussi à intéresser la communauté étudiante aux enjeux de l’éducation », a affirmé le VP de la FEUQ. Rebondissant sur l’analyse de la grève de 2005, M.Pierre-Roy a demandé à l’ASSÉ si le mouvement étudiant avait gagné ou perdu, étant donné les interprétations divergentes dressées par les différents porte-parole de l’ASSÉ. Julien Vadeboncoeur a concédé qu’il n’y avait pas d’unanimité sur cette question, mais qu’au moins un constat semble être unanimement partagé à l’effet que l’ASSÉ s’est fait « usurper la négociation » par les fédérations étudiantes.

Le porte-parole de la FECQ a préféré commencer par répondre ici sur les moyens employés par le mouvement étudiant, en rappelant que l’ASSÉ « avait échoué » sa grève en 2007. Pour M.Lefebvre-Boucher, il n’y a pas de moyen à privilégier : « Un moyen ne peut pas être radical ou wathever, un moyen c’est un moyen, n’importe quel moyen est bon pour se rendre jusqu’à l’objectif. » Sur la grève de 2005, il a aussi tenu à dire que la FECQ n’avait pas signé l’entente de principe, même si ses membres l’avaient adopté.

Coopération avec les mouvements sociaux

Sur la coopération avec les autres mouvements sociaux au Québec, la TaCEQ a soutenu l’importance de la solidarité avec les organisations locales, dont les syndicats. Du côté de la FEUQ, outre la longue liste de coalitions dont elle fait partie, M. Pierre-Roy a répété que sa fédération travaillait beaucoup sur l’emploi chez les jeunes. La FECQ, au-delà des multiples tables auxquelles elle participe avec la FEUQ, se concentre cette année sur le développement durable : « C’est ce qui nous demande le plus de temps actuellement », a affirmé le Président de la FECQ. M.Vadeboncoeur a, quant à lui, défendu la solidarité constante dont a fait preuve l’ASSÉ depuis sa création. Par rapport au Sommet des Amériques de 2001, il a insisté sur la position de l’ASSÉ qui était « contre la ZLÉA », contrairement aux fédérations qui étaient uniquement « contre l’introduction de l’éducation dans la ZLÉA ». Sur ce point, le représentant de la FEUQ a argué qu’elle faisait partie d’une coalition qui s’occupait de l’ensemble du discours contre la ZLÉA, mais que la FEUQ avait un « discours prioritairement sur l’éducation ».

L’ambiance s’est tendue lorsque l’ASSÉ a posé une question dérangeante à la FEUQ sur la Table des partenaires universitaires (TPU) qui regroupe de nombreux syndicats universitaires. En effet, M.Vadeboncoeur a rappelé que l’ASSÉ avait tenté de joindre la TPU plus tôt cette année pour lutter contre les lois sur la gouvernance, mais que la FEUQ avait refusé de l’accueillir à cette table. Étant donné l’adhésion par cooptation de cette instance, c’est la FEUQ qui avait le droit de regard sur les représentants du mouvement étudiant à la TPU. « Comment justifiez-vous ça ? », a demandé Julien Vadeboncoeur. M. Pierre-Roy a rapporté l’expérience du Rassemblement du monde de l’éducation pour justifier la position de son exécutif. Selon lui, l’ASSÉ n’a pas voulu se concerter avec les autres membres de ce rassemblement et aurait claqué la porte suite à une divergence politique sur la place du privé en éducation. Pour la FEUQ, cette attitude a été la preuve que l’ASSÉ n’était pas capable de collaborer avec d’autres groupes et c’est ce qui a justifié leur refus de voir l’ASSÉ à la TPU. M.Vadeboncoeur n’a pu répondre sur cet événement particulier dont il ne connaissait pas la teneur, mais a tout de même rétorqué que l’ASSÉ « n’a pas abordé la TPU en disant : on va tout casser ! », pour reprendre la caricature dressée par la FEUQ.

Structure et mode d’organisation

Les panélistes ont ensuite présenté les structures et modes d’organisation de leur organisation respective. Pour M.Vadeboncoeur de l’ASSÉ, le rôle d’une association étudiante est clair : « Assurer une conscientisation et une mobilisation des étudiants [et étudiantes] sur les enjeux actuels. Et non se perdre dans les méandres de la bureaucratie de l’État. » Au premier chef, cela passe par une démocratie vivante grâce à la tenue d’assemblée générale, et ensuite par la coordination des associations en Congrès, « instance suprême » de l’ASSÉ. M.Lefebvre-Boucher a décrit le fonctionnement de son organisation en précisant qu’elle respecte « le principe de souveraineté locale ». Cela veut notamment dire que « si les associations étudiantes veulent prendre leur position en exécutif et ils trouvent cela légitime, c’est leurs affaires, ça nous concerne pas », a soutenu le Président de la FECQ. Le représentant de la TaCÉQ a aussi mis l’accent sur la souveraineté locale, principe fondateur de son organisation. La structure de la TaCÉQ se divise en un Secrétariat général, le « pendant des exécutifs des associations nationales », formé de deux personnes, et une « table politique » qui se rassemble au mois. M.Jégou a joyeusement pris le soin de dire que la TaCÉQ ne demande pas de cotisations. Pour ce qui est de la FEUQ, elle tient cinq à six congrès par année, a un conseil exécutif composé de huit personnes et embauche cinq employé-e-s dont un traducteur. Bien que M.Pierre-Roy reconnaisse que la FEUQ favorise la démocratie, il admet que ce sont les associations locales « qui décident comment elles s’arrangent ».

Emboîtant le pas, l’ASSÉ a aussi signifié son adhésion au principe de souveraineté locale. Le secrétaire à l’information de l’ASSÉ en a tout de même profité pour questionner la FEUQ sur le cas de la désaffiliation controversée du REMDUS. Suite à cette désaffiliation qui s’est terminée devant les tribunaux, la FEUQ a adopté de nouvelles règles concernant les désaffiliations qui, selon M.Vadeboncoeur, vont à l’encontre du principe de souveraineté locale. « Quel respect pour la souveraineté locale à la FEUQ ? », a-t-il demandé. M.Pierre-Roy a expliqué la situation : « Cette politique-là fait suite à des non-respects flagrants des associations qui ont essayé de partir. » Pour les membres de la FEUQ, il s’agissait de se donner « une base pour permettre quelque chose de plus harmonieux au niveau des désaff[iliations] et des affiliations ».

Relations avec l’État

En dernier lieu est venu le débat sur les relations à entretenir avec l’État québécois. Dans le débat opposant confrontation et concertation, le représentant de la TaCÉQ a soutenu qu’il était possible de faire la part des choses : « Y’a moyen d’avoir une sorte de concertation agressive. » Pour la FEUQ, il est clair « qu’on peut pas mobiliser sur tous les enjeux ». Cependant, si les associations membres de la FEUQ « trouvent que les dossiers n’avancent pas, on va éventuellement passer à des moyens plus hards » contre l’État. Pour l’ASSÉ, l’État n’est pas le « représentant de l’intérêt général » qu’il prétend être. M.Vadeboncoeur a dénoncé la participation des autres groupes aux consultations étatiques en défendant qu’elle « participe à la légitimation de mesures sociales » impopulaires. Pour appuyer son propos, il a pris pour exemple le Sommet du Québec et de la jeunesse auquel les fédérations ont participées et qui a eu pour suite de nombreuses coupures dans les programmes sociaux. Attaquant directement les fédérations, il a dénoncé leur « naïveté » face au « réalisme » de l’ASSÉ qui confronte l’État « qui est partie prenante des entreprises ». Sur le Sommet du Québec et de la jeunesse, la FECQ a rappelé qu’elle a « réussis à obtenir 1 milliard de dollars pour l’éducation ». M.Lefebvre-Boucher a aussi répondu que la FECQ « ne suppose pas nécessairement que le gouvernement [l’]écoute », mais prétend qu’il est mieux de lui faire des demandes avant de le confronter. Face à cette attaque à peine voilée, M.Vadeboncoeur a soutenu que l’ASSÉ ne « s’oppose pas à participer d’une certaine façon aux organismes consultatifs de l’État ». Toutefois, l’ASSÉ ne se fait pas d’illusions sur l’issue de telles consultations. Pour M.Vadeboncoeur, « c’est la combativité des associations étudiantes » qui a permis les plus grands gains du mouvement étudiant.

Après ces débats houleux, une longue période de questions plutôt animée eut lieu. On a pu notamment y entendre une certaine note d’espoir d’union. M.Vadeboncoeur a en effet affirmé que l’ASSÉ allait être là quand la FECQ voudra « mobiliser pour contrer l’instauration de frais de scolarité au collégial ». Ce à quoi M.Lefebvre-Boucher a répondu : « On va faire cette guerre-là, si jamais y’a cette instauration de frais au collégial. » En revanche, comme l’a fait remarquer le VP de la FEUQ, « l’union à tout prix, c’est pas vraiment possible ». Il semble en effet difficile d’entrevoir une concertation forte entre les différents acteurs du mouvement étudiant, après avoir écouté ce débat qui semble avoir davantage campé les positions respectives que permit un quelconque rapprochement.